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Les clés du social : Pas de social pour l'Omnibus !

Pas de social pour l’Omnibus !

Publié le 14 juin 2025 / Temps de lecture estimé : 8 mn

Intro

Il faut SIM…PLI…FIER ! Tel est le mot d’ordre essentiel du programme de la Commission européenne pour 2025. Ce programme est donc un ensemble de mesures pour simplifier les normes concernant les entreprises et il est baptisé d’un nom surprenant : Omnibus…
Il est tout aussi étonnant que ce programme ne contienne aucune nouvelle législation sociale, pour la première fois depuis 2019… et que la simplification annoncée ressemble plus à une dérégulation. Dans le même temps la Directive sur le salaire minimum est attaquée devant la Cour de justice européenne, mais le projet de révision de la Directive sur les Comités d’entreprises européens avance ! À mi-année regardons de plus près ce qu’il en est.

Pour le social, des mots toujours des mots

Bien sûr la Commission prend la précaution de s’engager à « garantir des emplois de qualité avec des conditions de travail décentes, des normes élevées en matière de santé et de sécurité et des négociations collectives » mais cet engagement de principe n’entraine aucune initiative législative permettant de le concrétiser alors que la Commission propose 8 textes législatifs de « simplification » de législations existantes avec des implications sociales et sociétales.

Ce début d’année 2025 a été marqué par une mise en cause de la Directive sur le salaire minimum adopté en 2022 (voir Clés du social : https://www.clesdusocial.com/presidence-francaise-de-l-ue-bilan-social-un-succes-important-mais), une avancée marquante obtenue pendant la Présidence française de l’UE. Le Danemark soutenu par la Suède avait présenté un recours en annulation contre cette Directive à laquelle ce pays et la Suède s’étaient opposés au Conseil lors de l’adoption. L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) Nicolas Emiliou a rendu un avis favorable à la demande danoise.

De quoi s’agit-il : les arguments de contestation du Danemark portent d’une part sur la base juridique choisie, l’article 153, qui énonce que cet article « ne s’applique pas aux rémunérations, au droit d’association, au droit de grève ou au droit d’imposer des lock-out ». D’autre part le gouvernement danois défend que cette Directive ne concerne pas seulement les conditions de travail mais aussi « la représentation et la défense collective des intérêts des travailleurs et des employeurs » qui exigent dès lors l’unanimité au Conseil (toujours l’article 153). Les conclusions de l’avocat général interprètent de manière extrêmement restrictive l’article du Traité en question, mais aussi de manière extensive sur l’interprétation du terme rémunération, qui le conduit à donner raison aux Danois en proposant à la Cour l’annulation complète de la Directive.

Bien sûr l’avis des syndicats et de nombreux juristes est en désaccord avec cet avis de l’avocat général. Pour Isabelle Schömann, secrétaire générale adjointe de la CES

« il est clair que les arguments qui ont conduit l’avocat général à demander l’annulation complète de la Directive sont basés sur une interprétation étroite des Traités, ignorent des décennies de jurisprudence de la Cour sur cette question et une mauvaise compréhension du fonctionnement des partenaires sociaux et de la manière dont les objectifs sociaux de l’UE doivent être respectés ».

La directive a été adoptée sur la base de l’article 153 §1, b) du TFUE qui vise « les conditions de travail ». Or, la CJUE reconnait de longue date que la rémunération constitue un élément essentiel et intégral des conditions de travaili. Le même problème de contestation de la base juridique avait d’ailleurs été faite, lors de l’adoption de la Directive sur le temps de travail en 1993, par la Grande Bretagne qui argumentait que cette Directive, qui introduisait des éléments de rémunération, ne pouvait pas être adoptée sur la base Santé et sécurité au travail à la majorité qualifiée mais à l’unanimité, ce qui aurait permis au Royaume-Uni d’exercer son veto. De même de manière plus surprenante, la même contestation juridique avait été faite par …la France, lors de l’adoption de la directive sur le congé de maternité, celle-ci contestant la rémunération de ce congé de maternité (sic) car cela intervenait sur des éléments de prestation sociale qui ne pouvaient qu’être adoptés à l’unanimité…

Comme le dit la secrétaire générale de la CES, Esther Lynch,

« Si l’opinion aberrante de l’Avocat général Emiliou est suivi, cela aura de profondes conséquences pour des millions de travailleurs européens qui comptent déjà sur la Directive relative au salaire minimum adéquat et qui cherchent à accroitre de manière cruciale la couverture des négociations collectives et à mettre un terme au démantèlement des syndicats ».

Heureusement la CJUE n’est pas contrainte de suivre cet avis de l’Avocat général mais un résultat négatif serait extrêmement dommageable pour la politique sociale européenne. La Cour n’a toujours pas fixé la date du jugement, ce qui est étonnant et semble marquer des difficultés sur la décision finale. Il y a certainement beaucoup de pression pour un jugement qui risque d’avoir de terribles conséquences. Les vacances approchant il semble que cette date de l’audience finale n’aura pas lieu avant septembre…

Un coin de ciel bleu dans cette situation morose, la révision de la Directive sur les Comités d’entreprises européens avance, après qu’un accord provisoire de trilogue (Parlement européen, Conseil européen, Commission) a été trouvé sur la révision de la directive antérieure sur les comités d’entreprise européens (CEE). Cela représente une avancée significative dans le renforcement des droits des travailleurs dans les multinationales européennes comme le souhaitait la CES.

La directive actuelle, adoptée en 2009, s’est avérée insuffisante, faute de mécanismes d’application solides. La CES a constamment plaidé en faveur d’une révision, afin de garantir une consultation significative, un accès rapide à l’information, des droits opposables et des sanctions plus effectives.

Les prochaines étapes sont l’approbation formelle par le Conseil de l’UE le 19 juin à Luxembourg et le vote en plénière du Parlement européen prévu en septembre. Il faudra voir le projet final pour juger vraiment des avancées.

L’Omnibus : Simplification ou déréglementation ?

Dans son programme publié en février la Commission annonce vouloir simplifier deux Directives importantes considérant qu’elles font peser une charge administrative trop lourde aux entreprises. Il s’agit de la Directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises (CS3D) et de la Directive sur les rapports en matière de durabilité des entreprises (CSRD). Avant et depuis ces Directives il y avait un lobbying intense des entreprises pour mettre en cause leur application. D’une manière plus générale le Pacte Vert pour l’Europe est remis en cause sous la pression des entreprises et des agriculteurs mais aussi par un Parlement européen plus libéral et nettement plus à droite.

Pour la Directive CS3D, faut-il rappeler que l’instauration de ce « devoir de vigilance » était une demande forte des syndicats et des ONG à la suite de l’effondrement en 2013 de l’immeuble du Rana Plaza au Bangladesh qui abritait de nombreuses entreprises textiles travaillant pour les grandes marques de la mode internationales et en particulier européennes. Le bilan avait été de 1 134 morts et environ 2 500 blessés. Cette responsabilité dans la chaine de valeur était indispensable. La Commission propose principalement de revoir à la baisse « en concentrant les exigences systématiques en matière de vigilance raisonnable sur les partenaires commerciaux directs » avec des évaluations tous les cinq ans et un report de l’entrée en vigueur d’un an pour les grandes entreprises (en juillet 2028).

Un débat sémantique oppose ceux qui considèrent cette révision de normes existantes comme une simplification (gouvernements libéraux, patronat) et ceux qui pensent qu’il s’agit de dérèglementation (ONG environnementales et de défense des droits de l’Homme, syndicats).

Pour le patronat européen pas de doute, l’Omnibus « de simplification » marque une étape importante pour faire de l’Europe un meilleur endroit pour faire des affaires. Markus J. Beyrer, directeur général de BusinessEurope, a déclaré :

« Faire mieux avec des normes moins nombreuses et plus claires, c’est ce que demandent les entreprises européennes de toutes tailles. En réduisant les charges réglementaires et de reporting inutiles, le premier Omnibus permettra aux entreprises de contribuer plus efficacement aux objectifs de durabilité de l’UE tout en préservant la compétitivité de l’économie européenne. »

Cette pression sur l’Union européenne pour déréguler les normes existantes est parfaitement illustrée par la lettre envoyée le 11 avril par 32 grands laboratoires pharmaceutiques à la Présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, lettre qui menace de transférer hors Europe 16,5 milliards d’investissements si l’UE ne répond pas dans les 3 mois à leurs demandes. Celles-ci sont claires : raccourcir les processus pour les essais cliniques menés dans plusieurs pays et accroître les ressources de l’Agence européenne des médicaments pour en faire une référence mondiale dans l’approbation des thérapies innovantes, mais surtout ils demandent de suspendre et réviser la mise en œuvre de la Directive qui demande d’améliorer le traitement des eaux usées avant leur rejet dans la nature “afin d’éviter des charges disproportionnées” pour leurs entreprises… En mars 2025 les patrons européens de BusinessEurope avaient déjà, lors d’un Sommet social tripartite, déclaré que face au programme de déréglementation de la nouvelle administration américaine « le plus grand défi qu’ils identifient est la surrèglementation », appelant l’UE à « agir de toute urgence pour réduire la charge réglementaire pesant sur les entreprises et renforcer son attractivité en tant que place d’investissement ».

Pour les syndicats, aux niveaux national et européen, il s’agit bien de dérèglementation. Les syndicats, particulièrement en France, ont été pionniers en matière de devoir de vigilance et la remise en cause d’une Directive adoptée il y a à peine un an est une régression grave. La Confédération européenne des syndicats vient de réunir à Belgrade, fin mai, ses organisations pour une conférence de mi-mandat et l’assemblée a décerné un carton rouge à la Commission en déclarant :

qu’« Une économie déréglementée, néolibérale, avec peu de droits et de bas salaires ne répondra pas aux défis de compétitivité de l’Europe et créera plus de problèmes qu’elle n’en résoudra. Le discours patronal présentant la législation européenne comme contraignante est réducteur et représente une menace pour le projet européen. Ce dénigrement de l’UE sape la confiance dans les institutions, alimentant l’euroscepticisme et l’extrême droite. Une approche déréglementaire de la compétitivité n’a pas sa place en Europe. Nous n’accepterons jamais que les droits, les salaires et les conditions de travail des travailleurs soient compromis ou dégradés par la déréglementation et la simplification. L’initiative dite « Omnibus I » constitue une initiative déréglementaire dangereuse, et la directive sur le devoir de vigilance en matière de durabilité des entreprises doit être préservée ».

Les ONG ont des positions similaires aux syndicats. Pour le CCFD Terre solidaire

« on souhaite savoir si nos produits sont vertueux, s’ils sont tachés de sang ou s’ils respectent les personnes, s’ils sont marqués du sceau de la dégradation de l’environnement… La disparition de ces textes européens ou leur affaiblissement va rendre ce contrôle moins possible ».

Notons que la Commission ne devrait pas s’arrêter là en matière de « simplification » puisque son objectif, d’ici la fin de son mandat, est de réduire d’au moins 25 % les charges administratives des entreprises et d’au moins 35 % pour les PME.

Affaire à suivre…


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[1Notes : Il faut rappeler que cette interprétation extensive du « milieu de travail », à la Nordique, intégrant tous les éléments y compris de rémunération était un coup de génie de Jacques Delors dans la négociation sur la révision du Traité qui donnera l’Acte unique adopté en 1986. Cet Acte unique introduit pour la première fois la majorité qualifiée pour la réalisation du Marché intérieur mais aussi l ’article 118A pour « l’amélioration du milieu de travail ». Tout a son idée du grand Marché économique Margareth Thatcher n’y avait vu que du feu !