Pour certains, parler de mobilité sociale c’est avant tout parler d’égalité des chances, observer comment elle reflète l’opportunité pour chacun de progresser dans la hiérarchie sociale, indépendamment de son origine sociale, de son genre ou de son âge.
Pour d’autres, c’est observer les dynamiques du marché du travail dont les possibilités de reconversion professionnelle.
C’est enfin un indicateur clé pour évaluer l’efficacité des politiques publiques en matière d’emploi et d’insertion professionnelle.
La mobilité sociale en cours de carrière est un sujet complexe, car ce dont il s’agit relève tout à fois de questions de redistribution intergénérationnelle, de condition de vie et de position sociale.
Pour nous éclairer, le CEET-CNAM vient de rendre public une étude [1] portant sur l’évolution de la position sociale au fil de l’âge, et sur la façon dont les processus de carrière ont pu changer à la lumière des dynamiques du marché du travail des années 1970-1980.
L’étude nous renseigne ainsi que, s’il est vrai que la mobilité sociale en cours de carrière — en termes d’emploi, de statut, de professions et de catégorie socioprofessionnelle — s’accroît au fil des générations, ses chemins ont peu évolué depuis les années 1970.
Elle nous renseigne surtout sur le fait que le genre et l‘origine sociale demeurent des barrières majeures à la mobilité en cours de carrière et que la mobilité est d’autant plus rare qu’elle implique un changement conséquent des conditions de vie et que la distance entre les positions sociales est grande.
- Au-delà des transitions professionnelles fréquentes, une mobilité de faible portée sociale
La mobilité intergénérationnelle mesure le degré de transmission du statut social entre les différentes générations, elle est souvent comprise comme un indicateur de l’inégalité des chances.
La mobilité intragénérationnelle exprime le degré de persistance de la position sociale au fil de l’âge, elle est majoritairement appréhendée à partir de la mobilité au sein de l’emploi ou des transitions entre l’emploi et le chômage. Dans cette perspective, elle devient davantage un moyen d’analyse des dynamiques du marché du travail qu’un support d’étude de la structure sociale et des rapports de classe, selon le CEET-CNAM.
Au fil des générations, évolution des flux… On observe qu’entre les générations nées au début du XXème siècle et celles nées au tournant des années 1980, la part des individus ayant connu un changement de position sociale sur cinq ans de carrière augmente de façon quasi continue. Alors que, dans la génération 1975-1984, 33,2 % des hommes et 32,1 % des femmes occupaient une position sociale différente à la date de l’enquête et cinq ans plus tôt, c’était le cas pour 17,3 % des individus nés entre 1911 et 1924.
Pour le dire autrement, on assiste à une hausse de la mobilité intragénérationnelle au fil des générations, tous types de mobilité confondus : les entrées et sorties de l’emploi (mobilité d’emploi), les flux entre l’emploi salarié et non salarié (mobilité de statut), ainsi que les mobilités entre les groupes socioprofessionnels (mobilité de classe).

On apprend cependant que la mobilité de classe (qu’elle soit verticale ou horizontale) représente un événement relativement rare à l’échelle de la carrière, puisque seuls 12,5 % des hommes et 11 % des femmes en font l’expérience dans les générations les plus récentes (contre 5,9 % et 1,7 % respectivement dans les générations les plus anciennes).
La fréquence de la mobilité descendante demeure néanmoins systématiquement inférieure à celle de la mobilité ascendante, et l’accroissement des deux types de mobilité ne change pas notablement leur rapport relatif selon les générations.
Toutefois, le phénomène du déclassement social en cours de carrière, qui concerne environ 4 % des hommes et des femmes nées entre 1975 et 1984, vient rappeler que la notion de mobilité n’est pas systématiquement synonyme d’amélioration de la position sociale au cours de la vie, de la même manière que le terme de carrière ne signifie pas toujours une progression professionnelle continue.
C’est surtout la mobilité d’emploi (mobilité entre emploi, chômage et inactivité) qui est la plus importante sur l’intervalle de cinq ans de carrière, et ne cesse pas de croître au fil des générations (elle passe ainsi de 8,3 % pour la génération 1911-1924 à 15,4 % pour la génération 1975-1984 chez les hommes, et de 13,8 % à 19,7 % chez les femmes), suggérant une précarisation des parcours professionnels au cours du temps.
Pour les hommes, cela implique que leurs carrières deviennent de plus en plus souvent marquées par les épisodes de chômage ou d’inactivité, là où, pour les femmes, ces épisodes de sortie du marché de l’emploi viennent se substituer à l’ancrage plus durable dans les situations d’inactivité.
Les résultats sont très similaires s’agissant de la mobilité sociale ; certes, la mobilité en cours de carrière apparaît plus fréquente lorsque l’on compare la position sociale actuelle à celle du premier emploi, plutôt qu’à celle occupée cinq ans auparavant, mais les changements de groupe social au fil de la carrière restent relativement rares, même lorsqu’on les observe depuis le premier emploi. Ils concernent environ un individu sur trois (mobilités verticale et horizontale confondues) en 2014-2015.
- Maintien des barrières à la mobilité
S’il est vrai que la mobilité en cours de carrière devient plus fréquente, elle continue cependant à suivre des chemins établis dans la structure sociale, chemins qui dépendent à la fois des rapports de genre et de classe. Ainsi, bien que les hommes et les femmes partagent la même dynamique de mobilité en cours de carrière au fil des générations, les inégalités de genre persistent. Tout en demeurant plus exposées que les hommes aux mobilités d’emploi (flux entre emploi, chômage et inactivité), les femmes font moins souvent l’expérience d’une mobilité ascendante ou d’une mobilité de statut. Dans les générations 1975-1984, 11 % des femmes (contre 12,5 % des hommes) changent de classe sociale en cours de carrière (mobilités ascendante, descendante et horizontale confondues), et seulement 1,4 % d’entre elles (contre 5,1 % des hommes) connaissent une mobilité de statut. À l’inverse, alors qu’environ une femme sur cinq (19,7 %) est concernée par un épisode d’inactivité ou de chômage, c’est le cas pour 15,4 % des hommes.
Dans l’ensemble, ces résultats suggèrent que, depuis les années 1970, et entre des générations dont les naissances sont séparées de près d’un siècle, nous assistons en France à une évolution des flux, mais à un maintien des barrières à la mobilité en cours de carrière.
La mobilité intragénérationnelle devient plus fréquente, mais, en raison des barrières de genre et de classe qui continuent à en structurer l’ampleur et les chemins, la convergence des régimes de carrière n’est observée ni entre les hommes et les femmes ni entre les milieux sociaux. Ainsi et surtout, les carrières s’apparentent davantage à un processus de maintien des inégalités sociales au cours de la vie, plutôt qu’à un processus permettant de corriger leur niveau initial.
En conclusion, les résultats de cette étude pourraient laisser suggérer que l’on assiste à un changement lent, mais profond des régimes de carrière. Néanmoins, rapportées à l’ampleur des transformations sociales qui en constituent l’observation dans le temps, ces évolutions apparaissent relativement modestes, et très loin de bouleverser des rapports sociaux en place, contredisant ainsi les discours sur l’individualisation et la complexification des parcours individuels. Ce n’est pas parce que les individus franchissent, plus souvent, les frontières entre les différentes positions sociales que celles-ci s’effacent pour autant.
Ce qu’il faut en retenir : c’est que le genre et la classe sociale demeurent des barrières majeures à la mobilité en cours de carrière, et que la mobilité est d’autant plus rare qu’elle implique un changement conséquent des conditions de vie et que la distance entre les positions sociales est grande.
Source